mercredi 18 mai 2011

LES RAISONS DE LA MARGINALISATION DU LIVRE DANS LES MEDIAS

L’analyse des grilles de programmes et du contenu des différents médias en l’occurrence la L’analyse des grilles de programmes et du contenu des différents médias en l’occurrence la télévision et la radio fait observer la faible part accordée au livre. Mis à part les médias thématiques sur la question du livre ou de la culture, les émissions littéraires sont les moins connues et les moins répandues. On en arrive à une marginalisation du livre dans les médias; marginalisation dont les raisons sont aussi bien subjectives qu’objectives.

III.1 Les aspects subjectifs

Les raisons subjectives sont celles évoquées par les responsables des organes de médias; ce que Jacques Keable appelle des «prétextes bien opportuns» (Keable, 2004). Ils se présentent comme suit.

III.1.1 La concurrence et les côtes d’écoute

«Les émissions sur les livres n’attirent pas les annonceurs» (Keable, 2004). De ce point de vue, les annonceurs sont intéressés par d’autres types d’émissions du genre jeu, divertissement, émissions musicales. Les côtes d’écoute sont la préoccupation majeure des chaînes médiatiques placées dans un environnement de concurrence dans lequel les annonceurs sont une source de financement par excellence. En effet, « les annonceurs sont intéressés par un média de masse touchant plus de 80% des publics » (Cavelier et Morel-Maroger, 2005, p82). La conquête et le maintien des côtes d’écoute imposent de se tourner vers une certaine catégorie de média qualifiée de plus en vue (la télévision) par rapport à la radio et produire des émissions particulières. Par exemple « en France, en 2004, la radio a 8% du marché public soit 785 millions d’euros ; moins que la télévision et la presse » (Cavelier et Morel-Maroger, 2005; ibidem). Les revenus générés par les annonces publicitaires démontrent le désintérêt pour la radio en tant que canal de diffusion relégué au second rang. Or, la recherche de profit demeure la finalité première des médias d’où la notion de concurrence dans un univers où plusieurs médias du genre exercent et se font la course aux annonceurs.

Toujours comme conséquence, on observe que « l’émergence des médias privés a entrainé les médias publics dans une spirale désastreuse. Les grilles de programmation sont souvent calquées sur le modèle des télévisions commerciales » (Keable, 2004.). En effet, l’analyse des programmes offerts par les différentes chaînes ne permet plus de faire la différence entre médias publics et médias privés ; et la confusion provient du mimétisme exercé par les chaînes publiques, qui, pour conquérir le public déploient les mêmes stratégies que les chaînes privées en termes de genre d’émissions (flux et stocks).

Les radios de proximité ivoiriennes n’ont pas de vocation à la recherche de profit ; en tant que radio non commerciales, « la publicité ne doit pas excéder 20% de leurs revenus » (fonctionnement radios de proximité, 1995) on peut penser que la concurrence soit limitée. Cependant, la réalité est la situation difficile de celles-ci qui n’ont pas toujours les moyens de produire des émissions au premier rang desquelles s’inscrivent les émissions littéraires.

Dans les médias d’Etat, la marginalisation du livre s’explique entre autres par la baisse des subventions gouvernementales.

III.1.2 La baisse des subventions gouvernementales

La création d’un organe de média est souvent l’expression d’une volonté exprimée par les Etats dans leur politique de développement. Pour cela, le financement de projets pour la naissance et le fonctionnement des chaînes de radios et de télévisions d’Etat s’est avéré judicieux en ce que l’Etat a le devoir de soutenir les médias. Cependant, vu les difficultés rencontrées par les Etats et les priorités définies par les finances publiques, l’on assiste à la baisse des subventions gouvernementales. C’est ainsi qu’à «CBC/Radio-Canada, les subventions versées par Ottawa sont passées entre 1994 et 2004 de 946 millions de dollars à 877 millions de dollars par année » (Comité, 2008). C’est une baisse de 69 millions de dollars en une décennie sur le budget de la chaîne, empêchant de ce fait le développement des exploitations et des investissements.

«Chez Télé-Québec par exemple, les coupures de 1995 ont entraîné la mise à pied de plus de 350 employés ; néanmoins, les dépenses apparaissant au budget du Québec ont crû de 20% durant la même période quand les subventions gouvernementales destinées au télédiffuseur ont diminué de 40% en dollars courants » (Comité, 2008). La diminution des subventions allouées aux organes est une réalité, les pouvoirs publics n’accordant plus les mêmes montants. Une telle situation ne tient pas compte des dépenses qui elles, demeurent et même s’accroissent. Face aux fournisseurs, prestataires de service et partenaires, les charges sont à supporter car la production a un coût. Les effets d’une telle politique sont d’une part : le retrait grandissant du gouvernement avec pour implication d’abord la diminution des activités de production interne et ensuite le type d’émissions produites, lesquelles sont axées sur les côtes d’écoute, la rentabilité financière et la performance publicitaire ; autrement-dit, la disparition des émissions culturelles et de jeunesse. Cela aussi rend compte de la pénétration des règles de gestion privée dans les médias publics.

Il en est de même pour « la radio de Radio-Canada qui, pour des raisons financières, n’a pu avoir d’antennes puissantes à maintenir la moitié de ses auditeurs. Il n’existe plus de programmation en langue chinoise et ukrainienne Et l’abandon des ondes courtes a pour incidence le rétrécissement de l’audience». (Comité, 2008).

En revanche l’aide, l’appui ou le financement à la production audiovisuelle privée permet la naissance et la consolidation d’une industrie de médias privés souvent fragile. Les médias privés semblent aujourd’hui avoir une surface financière capable de rivaliser avec les médias publics. Néanmoins, la culture et le livre ne semblent pas être au cœur de leur préoccupation. La recherche de profit guidant les objectifs, les émissions culturelles sont écartées. Cela se constate aussi en Côte d’Ivoire où les médias publics, quoique bénéficiant du financement de l’Etat, ont tendance a fonctionné comme des médias privés. Entre temps, les télévisions privées n’existant on ne peut a fortiori parler de subventions. Par contre, faute d’informations recueillies sur le financement par l’Etat des radios privées, l’on peut dire que leur priorité est d’assurer la rentabilité financière d’où la nécessité de programmes à caractère commercial dans les radios privées Un autre prétexte est celui de l’insuffisance d’auteurs.

III.1.3 L’insuffisance d’auteurs

Les auteurs sont les personnes physiques ou morales qui président à la création des œuvres littéraires. Dans le contexte de notre projet, ils appartiennent à tous les domaines de la connaissance tels que présentés par les différents outils de classification (classification universelle, Dewey, thésaurus):

L’insuffisance des auteurs est souvent invoquée par les détracteurs du livre. D’ailleurs, la réalité semble justifier ce point car en Côte d’Ivoire où l’écriture est en train de se faire; les auteurs consacrés et reconnus ne sont guère plus de deux-cents et les auteurs inédits ont maille à partir avec les éditeurs a fortiori avec les médias. En revanche dans les pays développés (Canada, France,…), cet argument devient inefficace. En effet, le nombre d’auteurs au Québec selon l’UNEQ est de « 1400 » (Uneq, 2009). Leurs œuvres peuvent servir de matière pour la production des émissions littéraires aux concepts les uns aussi variés que les autres et pour une période plus ou moins longue.

III.1.4 La désorganisation de l’industrie du livre

Jacques Keable inscrit au sein des prétextes la désorganisation de l’industrie du livre. Dans l’univers occidental en général et québécois en particulier, les acteurs du livre sont connus et reconnus et fonctionnent en vertu des dispositions en vigueur. C’est en vérité le manque d’identification précise de leurs activités qui pose souvent problème. Certains acteurs se retrouvant en train d’agir sur des terrains qui ne sont pas les leurs sèment la confusion. En outre, dans un univers marqué par la concurrence, les divisions naissent ; et les divergences empêchent le livre de se faire une place dans les médias, faute d’interlocuteurs forts parce que divisés.

Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, l’industrie du livre encore embryonnaire, est soumise à une désorganisation résultant de la défaillance de la règlementation. Certaines maisons d’édition, auteurs, bibliothèques, imprimeries, librairies, ne sont pas clairement identifiées. Les maisons d’édition "poussent comme des champignons" en Côte d’Ivoire ; les libraires informels exercent pour la grande majorité dans la période de rentrée scolaire sans oublier que les "librairies par terre" et bouquinistes fonctionnent encore de façon informelle. Malgré l’existence de leur association, les écrivains ne sont pas tous connus et il n’y a pas de chiffres ou de données pouvant les lister.

Par ailleurs, ces structures du livre (entreprises, organisations professionnelles, institutions de gestion) ne disposent d’aucunes données statistiques pouvant permettre de constituer des banques de données. Elles ne mettent pas l’accent sur la formation de leurs agents qui apprennent sur le tas et la production éditoriale demeure encore faible.

III.1.5 Le sort des autres supports de culture

Les gestionnaires des médias portent la réflexion sur le sort des autres domaines de la culture. Que va-t-on faire des autres supports de la culture si le livre revendique une place dans les médias ? Accorder au livre une place conforme à ses revendications serait la porte ouverte à des plaintes venant de tous les autres domaines de la culture: la danse, la sculpture, la peinture,… L’égalité et la neutralité des médias notamment les médias d’Etat sont des principes au service des différentes sensibilités du public. Une telle conception est de nature à exclure la culture en tous ses points des programmes des médias ; or «c’est le mandat des médias publics de s’occuper de la culture […] et une télévision publique trahit son mandat lorsqu’elle élabore l’essentiel de sa programmation au mépris des valeurs qu’elle doit promouvoir» (Keable, 2004 op.cit.). Autrement-dit, les différents secteurs de la culture doivent faire l’objet d’une prise en charge effective par les médias. Les radios et télévisions d’État notamment doivent soutenir la promotion de la culture en tous ses aspects ; réserver des espaces d’expression aux auteurs et permettre aux publics de découvrir la culture nationale.

III.1.6 Le désintérêt du public

Ce prétexte prend en compte la réception que fait le public des émissions littéraires et de toute activité s’inscrivant dans la promotion du livre. Les téléspectateurs et auditeurs ne semblent pas intéressés par un programme qui par essence incite à la réflexion. Dans une société contemporaine submergée par le sport, les loisirs et le divertissement, la lecture devient une activité de second rang. Le public semble donc attiré par d’autres émissions et abandonne les livres.

III.2 Les aspects objectifs

Les aspects objectifs résultent du fait que «le livre fait peur » comme le dit Keable, pour diverses raisons:

III.2.1 La censure, le refus de la liberté d’expression et du débat d’idées

« On parle de censure lorsqu’on limite de façon arbitraire ou doctrinale la liberté d’expression. Elle concerne les œuvres livresques, musicales, cinématographiques et toute autre forme d’expression artistique reflétant la créativité humaine. Elle peut devenir institutionnelle ou sociale lorsqu’un groupe ou des particuliers sont privés d’information. À l’origine religieuse, la censure devint politique au fil du temps » (Wikipedia.org, 2008).

En ce qui concerne le livre, l’histoire retient qu’il est la première forme d’expression à être censurée. Et aujourd’hui encore, il fait l’objet de censure par les dirigeants imprégnés de la volonté d’exercer un pouvoir sans contredit et sans critique, l’exercice du pouvoir s’accompagnant souvent de monopole et de totalitarisme. En effet, « la censure a pour but de contrer toute remise en question du pouvoir » (Keable, 2004). Les organes de censure fondent leur action sur le fait que le pouvoir doit être respecté et on doit lui être soumis. De ce fait, toute expression allant dans le sens de la critique, se voit priver de cadres de diffusion que sont les médias. Un livre censuré ne sera pas présent ni en librairies, ni en bibliothèques et encore moins sur les médias.

Keable renchérit sur le point de la censure en indiquant qu’une telle situation a pour corollaire la négation des libertés notamment la liberté d’expression et le débat d’idées. C’est effectivement le lieu de préciser que ces libertés sont inscrites dans les droits fondamentaux de l’Homme et du citoyen ; droits universels auxquels les Etats affirment leur attachement en théorie. La pratique de la liberté d’expression dans les livres et dans les médias se fait souvent à l’épreuve des valeurs de démocratie et d’Etat de droit difficilement réalisables. Les institutions publiques et la règle de droit empreintes d’une forte dose de volontarisme, on comprend qu’elles résultent de la volonté des gouvernants auxquels elles sont soumises. Le glas de la liberté est sonné même dans un Etat dit démocratique.

Cependant, force est de constater que la position de Keable élude les cas où la censure intervient de façon légitime pour sanctionner toute expression portant atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs conformément aux dispositions légales et règlementaires en vigueur. Il s’agit d’une incitation à la débauche, d’une atteinte à la pudeur par exemple ou d’une expression contraire au "jus cogens" c’est-à-dire prescrivant l’esclavage, le racisme, la violence, etc.

Les auteurs sont confrontés à la censure parce que le livre est aussi le siège des idées, ce que les médias au service du pouvoir politique, ne peuvent entériner. Permettre la diffusion d’idées divergentes de celles du pouvoir, n’est pas chose acceptable pour un média à la solde du pouvoir.

En Côte d’Ivoire, «il n’existe aucune censure sur le livre » (Sylla, 2007). Ainsi, tout livre édité ne peut faire l’objet d’un retrait du marché ou d’une interdiction quelconque quel que soit son contenu ; en outre, aucune structure n’est habilitée à censurer les livres une fois édités. Il s’agit d’une volonté affirmée par les dirigeants de favoriser non seulement la création littéraire mais aussi de respecter la liberté d’expression. La censure sur les médias est du ressort du CNCA qui a mandat de censurer tout programme sur les ondes publiques. Et ces censures, surtout institutionnelles, s’entendent de la privation de diffusion à l’attention d’un groupe ou d’un individu déterminé. Mais la censure demeure en premier lieu l’action des responsables des médias. A l’encontre des organes non publics, les sanctions peuvent aller jusqu’à la suspension de diffusion.

III.2.2 Le manque de volonté politique

La promotion du livre par les médias suppose de la volonté politique. Présente dans bien des domaines, cette volonté politique, en matière de culture et de livre est absente. La volonté politique s’entend de l’intérêt accordé au livre par les gestionnaires des structures de médias et responsables des organes de tutelle.

Tout d’abord, le manque de volonté politique s’observe dans l’organisation de l’information culturelle au sein des organes de média. En effet, l’information culturelle n’est pas autonome, elle demeure insérée dans les bulletins de nouvelles, les affaires publiques, les émissions spécialisées et les autres émissions. «Il n’existe pas de politique d’information culturelle dans les salles de nouvelles à un moment où l’information retient de plus en plus l’attention des gens» (Faucher et al, 1991, p.19). On traite l’information sans l’inscrire dans un cadre qui lui est propre et sans agents spécialisés dans le domaine; on ne lui confère pas les mêmes critères que l’information en générale. Aussi, dans les sphères de production en effet, les préoccupations portent-elles sur le sport, le divertissement, les jeux, les programmes assortis de gains financiers.

Ensuite au niveau des finances et autres moyens de production, le domaine du livre reste grandement oublié sinon marginalisé. « Si on mettait dans une émission traitant du livre et de la lecture autant d’argent que dans "la fureur" ou "omerta", on aurait un auditoire aussi grand! Techniquement c’est possible. […]La décision de produire ou non pareille émission avec tel ou tel budget, à telle heure, c’est une décision politique» (Keable, 2004, p.74-75). Les moyens ne sont pas disponibles pour les émissions du livre parce que celles-ci ne s’inscrivent pas dans les priorités, elles ne résultent pas de choix stratégiques. La côte d’écoute que peut avoir une émission est fonction des moyens qu’on y met. A cela s’ajoute la programmation de l’émission pour laquelle une bonne heure d’écoute serait utile. Fort de manquer de volonté politique, les émissions littéraires ont des concepts souvent caducs.

III.2.3 La caducité des concepts

Les émissions littéraires ont des concepts les uns aussi différents que les autres. Cependant, ils se rejoignent tous sur le fait que l’auteur d’une œuvre est amené à en discuter avec un public composé de lecteurs et d’experts. Le manque d’évolution dans les concepts n’incite pas les médias à s’appesantir sur la question du livre.

Pour certains auteurs « ce n’est pas la culture qui n’est pas vendable, c’est sa forme, sa présentation» (Faucher et al, 1991, p.37). Appliquant ce principe au livre, ces auteurs, estiment que la forme de ces émissions ne peut susciter les réactions attendues du public ; elle ne peut permettre la reconnaissance. En outre, la diffusion sur les ondes ou à l’écran laisse découvrir les mêmes dispositifs techniques de réalisation.

Du point de vue du contenu, les auteurs estiment encore que « les différents thèmes ne sont pas présentés de façon accessible ou encore […] on change de thèmes à chaque semaine. Il n’y a pas de continuité» (Faucher et al,). Une émission littéraire au contenu trop rigide ou trop léger est incompréhensible par un public qui veut se cultiver et en même temps se former sur fond d’envie. Le défaut de suivi dans les émissions rend difficile sa réception par les publics qui doivent à chaque fois reconstruire leur système de compréhension sans oublier qu’il y a des insuffisances au niveau des analyses et des critiques.

III.2.4 L’insuffisance des analyses et des critiques

On ne promeut pas pour promouvoir, on ne fait pas de promotion rien que pour de la promotion. Dans cette optique, toute politique du livre, au-delà de la promotion, doit s’induire d’un travail de réflexions et d’analyses. Les organes de médias ne sont pas conviés à être seulement des organes promotionnels. La fonction de tout média réside dans la formation, l’information et le divertissement. Les journalistes invités à se prononcer sur le sujet du livre font moins d’analyses que de simples comptes rendus descriptifs. On estime que leurs articles présentent en moyenne 20% d’analyses. Le public ayant souvent besoin de profondes réflexions pour impulser ses choix et ses goûts en matière de lecture, il n’est que peu satisfait face à une simple présentation d’un livre.

La marginalisation du livre dans les médias est un fait avéré qui relève d’une responsabilité partagée entre pouvoirs publics, acteurs des médias et ceux du livre. On assiste à une véritable désinformation en ce qui concerne le livre par rapport à des domaines tels que la musique, le sport,… Cela fait appel à une politique de médiation autour du livre.

Aucun commentaire: